Grenoble, 11 septembre 2012.
Acte de Comméoration aux victimes du 11 septembre 1973 au Chili
Acte de Comméoration aux victimes du 11 septembre 1973 au Chili
DISCOURS À GRENOBLE DU SECRÉTAIRE INTERNATIONAL DU PARTI SOCIALISTE CHILIE EN FRANCE, JUAN-PABLO PALLAMAR: « 39 ANS APRÈS LE 11 SEPTEMBRE DE 1973, QUE
SIGNIFIE CETTE DATE ? »
INTRODUCTION : 39 ans après le 11 septembre de
1973, que signifie cette date ?
- HISTOIRE, MÉMOIRE ET ENSEIGNEMENTS DU 11 SEPTEMBRE 1973 AU CHILI.
- Faits et conséquences du 11.
- Salvador Allende, protagoniste et symbole de résistance démocratique.
- Les mouvements sociaux moteur de l'Histoire.
- PRÉSENT ET FUTUR À TRAVERS LA MÉMOIRE CHILIENNE.
- Transition, héritage dictatorial et retour des socialistes au pouvoir après Allende.
- Une société qui change dans le cadre de la constitution politique de Pinochet.
- Conjoncture des mouvements sociaux : un nouveau moment historique.
CONCLUSION :
Vers une démocratie radicale
pour dire : plus jamais de dictature.
Monsieur Jérôme Safar, 1er Adjoint au Maire de
Grenoble ; Madame Crifo, Viceprésidente du Conseil Général de
l'Isère ; Dames et Messieurs élus de la Ville de Grenoble ;
Autorités présentes ; Camarades du Parti Socialiste ;
Amigas y amigos latinoamericanos.
Au nom du Parti Socialiste chilien en France, bonjour.
Je voudrais avant tout, offrir une minute de silence aux
victimes du 11 septembre 1973 et de la dictature...
Merci.
Je cite Salvador Allende, lors de son dernier discours
pendant le bombardement de La Moneda :
« Ils
ont la force, ils peuvent nous asservir, mais on ne peut arrêter
(stopper) les processus sociaux ni avec le crime ni avec la force.
L'histoire est notre et se sont les peuples qui la font. »1
- HISTOIRE, MÉMOIRE ET ENSEIGNEMENTS DU 11 SEPT. CHILIEN.
Le 11 septembre 1973 représente la fracture de l'État
démocratique au Chili. Ce jour là, eut lieu un coup d'État civil
et militaire. Une partie des forces armées et de la droite politique
chilienne ont organisé la prise du pouvoir par la force, contre le
gouvernement du Président Salvador Allende, le premier socialiste au
monde, arrivé au pouvoir par le suffrage secret et universel, le 04
septembre 1970.
- Faits et conséquences du 11.
Le Coup d'État écrase la démocratie et les Droits de
l'Homme et impose la terreur à des milliers de chiliennes et
chiliens de tous les âges. Les forces armées chiliennes, soutenues
par la droite politique et économique nationale et par le
financement de la CIA du gouvernement Nixon aux États-Unis, prennent
le contrôle de l'État chilien pour étouffer les mouvements sociaux
et les partis de gauche, lesquels étaient fortement organisés sur
le territoire entre les années soixante et soixante-dix.
À partir de cette date, les chiliennes et chiliens vont
parcourir un long chemin jusqu'à aujourd'hui. Triste et dramatique,
d'inégalités et d'injustices, de résistance et de transition, de
reconstruction démocratique et de réorganisation sociale.
- Salvador Allende, protagoniste et symbole de résistance démocratique.
Mais, le 11
septembre 1973 au Chili, c'est aussi le jour où le Président
Salvador Allende résiste, dans le Palais du gouvernement, à
l'assaut militaire des putschistes. Cette résistance est
l'aboutissement d'un parcours de lutte contre les injustices
sociales ; d'une lutte pour une démocratie profonde. Car, sans
se rendre, sans s'échapper, sans négocier son évasion, il meurt
avec un fusil entre les mains. Allende incarne alors la démocratie,
la résistance, la lucidité, la cohérence et surtout, sa
conséquence vis-à-vis des nécessités des travailleurs et des
populations plus démunies.
L'Homme militant
socialiste et l'Homme démocrate. Il nous enseigne que c'est l'action
qui fait le discours politique et qui construit le chemin des
processus sociaux. Il comprend qu'il est le produit d'un mouvement et
d'un processus social plus grands que lui.
Pour cela, son
envergure politique a parcouru le monde. En étant, aujourd'hui
encore, un exemple pour des générations entières. Et il sera
encore demain, un étendard démocratique de la lutte des socialistes
dans le monde. Contre la globalisation capitaliste qui impose
l'inégalité et méprise la liberté des milliers d'hommes et de
femmes. Ceux là même qui avec leur travail, produisent les
sociétés, les économies et les richesses. Richesses, dont seule
une fraction marginale de la population profite.
- Les mouvements sociaux moteur de l'Histoire.
Mais sans la
mobilisation sociale, sans les mouvements sociaux, il n'y aurait pas
eu Allende. C'est à dire, sans l'organisation collective, sociale et
politique des chiliennes et chiliens, la conviction du changement de
société n'aurait pu être portée par la gauche. Nous ne pourrions
expliquer ni l'Unité Populaire, ni l'arrivée d´Allende en 70' au
Chili. Puisque ce processus s'est logé au sein et dans la conscience
du peuple.
La dictature de
Pinochet n'a pas compris cela. La droite a cru qu'en écrasant la
gauche et l'organisation sociale, ils étoufferaient cette volonté
de changer les aberrantes inégalités sociales ; qu'ils
éviteraient l'effondrement du statu quo en leur faveur ; et
qu'ils annuleraient la formation d'une souveraineté sociale qui se
forgeait depuis l'émergence des mouvements travaillistes.
Ainsi, pendant 17
ans, la société chilienne va subir la persécution,
l'extermination, la disparition, la prison, la déportation, la
torture et l'exil politique. Mais, en silence, pendant cette même
période, comme l'exprima Allende, le processus social ne va pas
s'arrêter. Le Chili se réorganise dans la clandestinité et dans
l'exil. Vers la fin des années quatre-vingt, en pleine dictature
civile et militaire, de grands mouvements sociaux vont exploser dans
les rues. Même si la résistance armée au régime fut complètement
anéantie.
N'oublions pas,
soyons conscients, le Chili n'aurait pas vaincu la dictature sans les
immenses mobilisations sociales des années 80', en pleine dictature,
dans l'actif fonctionnement de la machine répressive de l'État,
entre les assassinats des dirigeants syndicaux et de la résistance,
qui étaient nos amis, nos compagnes, nos parents, nos frères et
sœurs, nos oncles, nos cousins, nos collègues, nos camarades.
- PRÉSENT ET FUTUR DU CHILI À TRAVERS NOTRE MÉMOIRE.
Ce combat débouche sur le plébiscite de 1988. Les
chiliens sont appelés a décider de la reconduite ou non du régime
militaire. Pour le Chili c'est la seule option pour sortir de la
dictature. Mais ce plébiscite est une option qui se fera sous la loi
des réformes constitutionnelles du régime militaire et sous la
précaire observation internationale. Malgré ces conditions,
l'opposition au régime militaire remporte la victoire. Et à
nouveau, le Chili s'exprime dans les urnes et avance à travers le
suffrage secret et universel. Le pays vote « non » à la
dictature et à ses crimes.
- Transition, héritage dictatorial et retour des socialistes après Allende.
Cependant, le plébiscite permet la fin de la dictature
et installe une démocratie de transition. Une nouvelle période
historique débute. Des gouvernements de centre-gauche se succèdent
entre 1990 et 2009. Tenus de gouverner sous les conditions
constitutionnelles de la dictature.
Un régime hybride. Dans lequel, les Chefs des Armées
continuent d'être indépendants de l'exécutif et ont le droit de
désigner des sièges au parlement.
Le dictateur Pinochet restera ainsi au commandement des
armées jusqu'en 1996, pour devenir ensuite, sénateur désigné,
entre 1996 et 1999, jusqu'à son arrestation à Londres, grâce à
l'action du juge espagnol Baltazar Garzón : Ce juge, à qui
nous exprimons aujourd'hui notre soutien face aux réactionnaires
espagnols qui empêchent de faire justice aux victimes de la
dictature de Franco ; ce juge qui a déclenché la mobilisation
des chiliens. Ce qui, permettra en 2005, sous le gouvernement du
socialiste Ricardo Lagos, une abrogation de la plupart des enclaves
dictatoriales de notre constitution politique.
Pour autant, si
nous n'avions pas appris cela, les socialistes ne seraient jamais
revenus au pouvoir. Car, sans l'organisation sociale, sans la
mobilisation de la femme chilienne, ouvrière, active travailleuse,
chef de famille, en 2005, l'élection de la socialiste Michelle
Bachelet, première femme Présidente de République en Amérique,
n'aurait jamais été possible. Et un État social n'aurait été
commencé a être bâti.
- Une société qui change dans le cadre de la constitution politique de Pinochet.
Mais soyons clair. Au Chili, il y a une crise de la
représentation. Nous avons hérité d'un système constitutionnel et
politique conçu par la dictature. Qui consacre constitutionnellement
la privatisation des services publics comme la santé, l'éducation
et des secteurs stratégiques de l'économie avec d'importantes
limitations à la participation politique : les chiliens à
l'étranger n'ont pas le droit de vote, le système d'élection
binominale de l'Assemblée Nationale empêche la formation d'une
majorité absolue avec la représentation des communautés indiennes,
des acteurs sociaux et de toute les expressions politiques. Des
cadenas dictatoriaux aux réformes sociales.
C'est ce système qui encadre, aujourd'hui, un climat
social de croissante tension. L'arrivée de la droite en 2009, s'est
produite dans un système politique où près de 4 millions de
potentiels électeurs n'avaient pas le droit de vote.
- Conjoncture des mouvements sociaux : un nouveau moment historique.
C'est dans ce contexte que des centaines de milliers de
chiliennes et chiliens se sont réveillés. Entre 2010, première
année de gouvernement de la droite, et aujourd'hui, le Chili a vécu
les manifestations sociales les plus massives et les plus longues
depuis les années 80'.
Si seulement nous parlons des étudiants, nous attestons
que les collégiens, les lycéens et les jeunes universitaires ont
paralysé les centres villes de toutes les capitales régionales du
pays pendant près de 7 mois, l'année dernière. Des manifestations
monstres. Seulement à Santiago, plus de 150 mille personnes.
Accompagné d'une occupation générale des bâtiments d'éducation
et de l'enseignement nationale, publics et privés. Un état de
mobilisation qui continue cette année même si les médias n'en
parlent plus.
Dans la même période, deux capitales régionales
(Punta Arenas et Coyhaique) ont vécu des mobilisations sociales
inédites pendant plus d'un mois. Dans lesquelles on atteste du
contrôle politique, administratif et territorial des villes par des
assemblées populaires en dépit du pouvoir central du gouvernement.
Nous assistons à une radicalisation de la cause des
peuples originaires. Victimes d'une inacceptable répression d'État,
qui emprisonne, fait des blessés et des morts sans discrimination
d'âge ni de genre. Situation qui reçoit une croissante attention
d'organisations internationales des Droits de l'Homme.
Ainsi, aujourd'hui, nous sommes face à l'histoire, la
mémoire et aux enseignements du 11
septembre de 1973 de ce petit pays de 16 millions d'habitant qui ont
vocation pour les grands changements. Ce qui, 39 ans après, nous
pousse, à nous redemander encore et encore, « que signifie
cette date ? » pour notre pays encore plein de
contradictions, mais aussi pour l'Europe et le reste de la planète.
Pour construire un regard et une vision profonde du
présent et du futur au Chili, en Amérique Latine, en Europe et dans
le monde. Renforcer ainsi, notre engagement socialiste avec une
démocratie des grandes majorités qui travaillent, qui émigrent,
qui produisent et bâtissent les bases et la structure de nos
sociétés.
Parce que nous comprenons que le nouveau moment
historique chilien est aussi un nouveau moment historique pour
l’humanité.
Conclusion.
Puisque nous avons appris que la démocratie n'est pas
assurée s'il n'y n'existe pas une mobilisation sociale permanente.
N'oublions pas que même si l'Amérique Latine vit un nouveau et
deuxième virage à gauche, quatre Coups d'État ont été tentés au
cours de la dernière décennie. Deux ont échoué au Vénézuela et
en Équateur. Et deux autres, au Honduras et au Paraguay dont les
conséquences sont en cours, au moment où l'on croyait que l'ère
des dictatures était finie.
En Europe, il faut aussi davantage se demander quelle
est la démocratie pour les majorités de travailleurs qui voient
leurs salaires et leurs conditions de vie se dégrader alors que
l'État sauve les banques privées et le système financier avec
l'argent des contribuables ? Contribuables qui sont en majorité
des travailleurs.
En France aussi, nous devons nous demander comment
s'est dégradée la démocratie sous les gouvernements
sécuritaires de la droite ? Nous ne pouvons oublier qu'au cours
de toute la Ve République seulement deux Présidents de gauche ont
été élus : François Mitterrand et, aujourd'hui, François
Hollande avec qui s'ouvrent de nouvelles possibilités pour les gens
du travail.
Nous devons nous demander qui profite de la démocratie
quand les inégalités sociales se creusent. Pour cela, nous avons la
responsabilité d'être conscient des enjeux qui se posent quand les
grands intérêts privés continuent d'être des obstacles à la
liberté et l'égalité des masses personnes qui produisent, avec
leur travail, les richesses.
C'est tout l'enjeu qui en 1973 au Chili était au cœur
du conflit politique. C'est l'enseignement que nous laisse la mort de
Salvador Allende. C'est toute la problématique qui resurgit
aujourd'hui au Chili, quand des centaines de milliers de jeunes
s'organisent en mouvement pour manifester l'intérêt général d'une
démocratie socialement juste et participative.
Pour cela, nous, les socialistes chiliens, souhaitons
réaffirmer ce soir, avec vous, notre engagement de lutter pour une
démocratie radicale pour ne plus jamais subir de dictature,
d'attaque aux Droits de l'Homme, ni d'injustices sociales.
Nous sommes aujourd'hui en état de mobilisation.
Bonsoir et merci.
1
ALLENDE, Salvador. Dernier
discours au Palais du gouvernement La Moneda, à Santiago du Chili,
le 11 septembre de 1973. « Tienen
la fuerza, podrán avasallarnos, pero no se detienen los procesos
sociales ni con el crimen ni con la fuerza. La historia es nuestra y
la hacen los pueblos. »